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© Chantal Parent

Comment entrer dans un poème ?

Comment entrer dans une maison ? Par la porte, par la fenêtre ? Par la cave, par le grenier ? En frappant ou en sonnant ? Comment entrer dans un poème ? À quelle heure du jour ou de la nuit, de l’enfance ou de la maturité ?

Il y a les maisons de paille où le charpentier commande, celles de pierre où le maçon décide quand les huttes de terre se serrent autour de l’ombre et que les maisons de verre se jettent dans la lumière. Et il y a les maisons qui suivent la courbe du soleil. 

La terre tourne. La terre gèle et brûle, fleurit en rouge et meurt en ocre car la terre, comme les hommes qui écrivent des poèmes, vit.

Matin du nouvel an
L’an passé brûle encore
Dans le poêle [1]

Il y a le poème du réveil, celui que l’on cueille sur le bord de sa bibliothèque. Il est dense et léger comme un bouquet de violettes à l’envers d’un talus, à l’endroit d’une main, dense et léger comme les traces de la biche, les pas de sa lumière sur l’herbe.

Son auteur est japonais ou chinois. Il ne mangeait pas de pain mais du riz. Il était parfois très vieux et pourtant si jeune. Il avait parcouru le Japon et la Chine d’ermitage en ermitage.

Devant le lit brille le clair de lune
On dirait du givre sur la terre
Levant la tête, contemplant la lune brillante
Baissant la tête, me souvenant du vieux pays natal…[2]

Il s’était reposé au creux d’une vallée, au pied d’une montagne où il avait enseigné. Il avait été parfois riche et souvent très pauvre. Il avait parlé aux plus frêles des créatures, à la mouche et aux moustiques et à la plus dérisoire des choses, la pisse de cheval quand elle s’écrit sur un lopin de neige.

Son poème ouvre bien la journée. Il aide à vivre. Il nous redresse la tête comme la lumière redresse celle des primevères et le parfum celle des jonquilles.

fleur de mûrier
d’un rose
si gris

genêt presque trop jaune

À quelle heure rendre visite à un livre ? Le matin est-elle celle du haïku, la nuit, celle du polar, l’après-midi, celle des quanta de Guillevic et la soirée, celle du long chant de Xavier Grall ? À quel moment de la vie proposer un poème ?

Car il y a cette incroyable coïncidence où le lecteur devine le vers qui achève le recueil, où la fraîcheur du haïku rencontre la joie d’une jeune femme, où le désespoir d’Hölderlin rencontre le chagrin d’un jeune homme quand il lui faut accepter absolument sa leçon absolue, où, enfin, le roman de Tolstoï, La mort d’Ivan Illitch, accompagne celle de son lecteur.

Il y a cet instant où c’est l’heure du poème.

Son regard était tendu
comme un fil au-dessus du vide

ses yeux avançaient sur les pages
comme les pas du funambule

les phrases étaient autant de fils
qu’il aurait traversés

les mots pesaient sur la phrase
comme la barre sur les bras du funambule

le silence qu’il faisait en lisant
allait crever.

On aurait dit
que cet homme qui lisait
venait d’apprendre à lire.

Besoin de poème, Le Seuil 2006

[1] Hino Sôjô, extrait de Matin de neige, Grand Almanach Poétique Japonais, Le nouvel an (traduction Alain Kervern), Éditions Folle Avoine, 1988, p.29.

[2] Li Po, L’Exilé du ciel (traduction Daniel Giraud), Le serpent à plumes, 2004.

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